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LE MONDE DES IMAGES.

Il reste à savoir dans quelles conditions. Notre ignorance complète des fonctions vraies du cerveau et du cervelet de l’homme ne permet pas d’aborder ce problème expérimentalement. Je mets en fait que cette ignorance a encore augmenté, depuis les errements de la doctrine dite des localisations cérébrales, laquelle faisait, du plus complexe et du plus raffiné des centres nerveux, quelque chose d’aussi rudimentaire qu’un tableau de sonneries, à l’usage des domestiques, dans une antichambre. Pour la grossièreté de vues, la faiblesse des arguments et l’inanité des preuves, la théorie des localisations cérébrales est à rapprocher de celle de l’évolution et de la doctrine de l’inconscient. Je les mets toutes les trois dans le même panier… à papier. Que des esprits d’une incomparable vigueur tels qu’un Charcot, un Darwin, même un Grasset, se soient contentés, sur ces points importants, d’explications aussi indigentes, voilà ce qui me dépasse et ce qui fera la stupeur de l’avenir.

Nous avons vu que l’enfant, de par la mémoire héréditaire, possède en lui les sentiments (et sans doute leur amorce vocale), avant de pouvoir parler. Certains de ces sentiments, poursuivis jusque dans l’âge adulte et la vieillesse, échappent-ils à la saisie du mot et à l’expression par le mot ? Existe-t-il en nous des états qu’aucun terme ne saurait traduire, ni même suggérer, et qui demeurent ainsi, floconneux et latents, privés de tout support verbal ? Cela paraît certain, et la satisfaction, que nous donnent la