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LE MOT ET CE QU’IL ÉVOQUE.

Dans Shakespeare, par exemple, la puissance de la suggestion est telle qu’elle s’étend du dialogue au paysage, que les transports amoureux de Roméo et de Juliette évoquent le ciel et les aspects de Vérone ; les transports jaloux d’Othello, la lagune vénitienne ; les répliques de César, l’atmosphère de la Rome antique. Ainsi le dialogue plante le décor. Cela prouve que la mémoire héréditaire de Shakespeare (source de son génie) était chargée de paysages, adhérents aux hérédofîgures et à leurs passions.

Il arrive que, dans une circonstance donnée, des personnes d’âge différent, de tempérament différent, de condition différente, prononcent le même mot ou la même phrase en même temps. Il arrive aussi que nous devinions, que nous pressentions les paroles qui vont sortir d’une bouche fermée, comme si elles se peignaient déjà pour nous sur le visage de notre interlocuteur. De sorte qu’il est permis de se demander si la parole intérieure humaine n’a pas d’autres moyens de transmission que l’expression, que l’écriture et que la mimique ; si elle ne peut pas se communiquer d’humain à humain, à travers l’espace, ainsi que les sentiments qui l’animent, par ce qu’on a appelé la télépathie. Les cas de télépathie bien observés sont aujourd’hui trop nombreux et trop caractéristiques (je renvoie aux traités spéciaux) pour qu’on réponde par la négative. La plupart des philosophes et des savants admettent que les pensées verbales peuvent être perçues, malgré la distance, sans interposition d’appareils.