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LE MONDE DES IMAGES.

véritable trésor littéraire, pour le jour où l’introspection sera arrivée à mettre debout une histologie générale de l’esprit humain. Mais un Villon, un La Fontaine, un Mistral nous fournissent des modèles achevés d’extension de la sensibilité présente ou récente par la mémoire héréditaire et de condensation rythmée du passé dans le présent. On sait combien Villon est hanté par l’antan, et cette hantise donne à son œuvre une coloration et une abréviation uniques. Elle est à la fois très concrète, très proche des choses, de sensation immédiate, et fort elliptique, ce qui indique un haut degré de réflexion par une réflexion. Elle ajoute, cette œuvre, la vie à la vie. Elle a cette saveur de lignée, cette marche rapide et sûre dans le dédale des sentiments que crée seule la mémoire congénitale.

La Fontaine est peut-être le poète de notre langue le plus relié à la longue sagesse d’une suite de générations, dont les apports s’éveillent et brillent constamment en lui. Sa perspective verbale, conséquence d’une richesse infinie de gravitation dans les profondeurs psychiques du langage, a masqué longtemps son amplitude intellectuelle. Aucun écrivain peut-être n’a jeté un pareil filet sur les passions humaines, n’a plus aisément, ni magiquement ramené le complexe au simple. Voir notamment, à ce sujet, l’exposé du cartésianisme dans la fable fameuse Les deux rats, le renard et l’œuf. Le tout recouvert, et comme saupoudré de cette souriante bonhomie que donne le complet équilibre du soi.