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développent la faculté intuitive, ainsi que la solitude et le silence. Il en est de même du bruit de l’eau : chute d’eau, robinet ouvert, bruissement de la mer sur les galets, etc… Certains fumeurs prétendent que la fumée les rend aptes à saisir l’indiscernable d’une ambiance, le halo d’une préoccupation. Entre parenthèses, ce halo est accessible à l’intuition, comme un tourbillon autour d’un point fixe. Mais la grande caractéristique de l’intuition vraie, c’est la soudaineté. Vous pensez à autre chose, et crac, le sentiment, le pressentiment, la vision d’une situation cachée vous tombent dessus, comme l’aigle sur le lièvre. Votre esprit positivement lie l’abscons, ou le mystérieux, ou l’inédit, ou l’inexprimé

L’intuition du danger est fréquente. On a voulu y voir une sorte de préréflexe. C’est remplacer une explication par un mot. L’intuition du plaisir charnel en commun est le prolégomène — si j’ose dire — des grandes amours. Un monsieur s’incline cérémonieusement en soirée devant une dame qu’il n’a jamais vue, et songe : « Celle-ci va jouer un rôle important dans ma vie. » Même réflexion de la part de la dame. Six mois plus tard, serrés l’un contre l’autre, ces amants comblés emploieront leur reste de souffle à se rappeler cette circonstance ; et leurs caresses et leurs baisers puiseront, dans ce souvenir, un élan nouveau. Au moment de prendre une détermination capitale, celui-ci hésite. Il vient d’apercevoir les conséquences, comme une allée plantée d’arbres aux fruits amers, et conduisant à la vasque