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LA VIE ORAGEUSE DE CLEMENCEAU

« un nouveau Moltke ». Mais l’histoire n’a pas gardé trace de celui-ci.

Suivirent les étourdissantes victoires électorales du général, d’autant plus complètes qu’elles étaient inattendues et s’étendaient du Nord à la Dordogne. Toute la sagacité des spécialistes du scrutin échouait devant le fait que les ouvriers du Nord, par exemple, joignaient massivement leurs voix à celles des régions les plus conservatrices, que Pelletan disait les plus « raplapa ». Il y avait là un ensorcellement, un phénomène météorologique. Boulanger était gentil, bon garçon, toujours prêt à rendre service, camarade fidèle, amant parfait. Mais d’une ignorance politique totale, prenant comme porte-parole un gaillard tel que l’avocat Laguerre, aussi véreux que le Constans qu’il attaquait à la tribune, et dont le seul mérite était d’avoir épousé une blonde ravissante et rouée, Marguerite Durand, passionnée pour la cause féministe. Un grand diable pas bien malin, nommé Millevoye, épris d’une longue et généreuse Irlandaise Maud Gonne, un jeune écrivain lorrain plein de promesses, ardemment patriote, Maurice Barrès, le carabosse Naquet et quelques autres, de second plan, composaient l’État-Major du parti.

La bonne société parisienne était, généralement (si l’on peut dire) favorable à Boulanger qui avait trouvé le moyen de concilier, dans un même amour, les milieux les plus opposés. Dupé par Gambetta, l’esprit de revanche avait, avec Boulanger, son renouveau. Sauf au Quartier Latin, entièrement rebelle. Clemenceau se félicitait de cette dernière circonstance, où apparaissait le bon sens de la jeunesse. Traduisant en acte le mot célèbre de Rochefort sur « le lard dans le chapeau » deux étudiants, en médecine, Jean Charcot et celui qui écrit ceci,