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LA VIE ORAGEUSE DE CLEMENCEAU

jamais su les raisons de cette persistante haine, que partageait la sœur de cet effervescent abruti, la princesse Mathilde, laquelle, il est vrai, à un moment donné, avait espéré coiffer la couronne. Naturellement les transactions de Boulanger avec les impérialistes, étaient dans les quinze jours connues des royalistes et réciproquement. Cependant que Naquet, juif avisé, s’efforçait de nouer des liens avec la banque israélite des Rothschild, méfiante, peureuse et que la popularité foudroyante du général effrayait.

Naquet aimait à se confier, notamment à son ami Lockroy — qu’il avait accompagné à son voyage de noces en Italie — et ses propos, alors, étaient intéressants.

— J’ai dit à Strauss — le principal avocat borgne des Rothschild, et qui épousa la veuve de Bizet, la belle Égérie, par la suite, du dreyfusisme — que le général a beaucoup de chances et qu’il serait absurde de méconnaître ses possibilités d’accession au pouvoir.

— Et qu’ont répondu les Rothschild ? s’informait Lockroy.

— Que cela dépendrait des fluctuations de la rente.

Au Ministère du Commerce, qui donnait sur les quais, Lockroy prenait son repas du soir, avec sa femme et les petits-enfants de Victor Hugo. Boulanger, sortant de la rue Saint-Dominique, y venait, avec son gentil sourire et une brassée de potins, parmi lesquels Lockroy, subtil, distinguait aisément ceux du Ministère de la Guerre, du Bureau des Renseignements, et ceux du monde et du Gaulois.

— Un petit verre, mon général ?

— Ce n’est pas de refus, cher ami… N’est-ce pas que c’est drôle ?