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LA VIE ORAGEUSE DE CLEMENCEAU

L’affaire prenant figure et l’enthousiasme déchaîné par le général, sur son cheval noir Tunis, à la revue du 14 juillet persistant, Mme de Loynes invita à dîner Déroulède et Meyer, en recommandant au chef de la Ligue des Patriotes d’amener son ami Thiébaut. Le comte Dillon, pressenti, s’était récusé. Jules Lemaître assistait au repas, assez étonné de l’emballement subit de la population parisienne et qui se communiquait à la province, assez sceptique aussi quant à la personnalité de Boulanger et accompagnant son scepticisme d’un petit rire aux yeux clairs. Le menu était exquis comme à l’ordinaire et les vins étaient de choix, la table de Mme de Loynes étant, de l’avis général, la première de Paris.

À peine assis, Déroulède commença un discours, que dominait son grand nez, pour expliquer son attitude vis-à-vis du général Revanche :

— il représente mon idéal patriotique, il incarne, et c’est pourquoi je viens à lui. C’est bien ce que vous pensez aussi, n’est-ce pas, Thiébaut, n’est-ce pas, Meyer ?

Vexé d’être apostrophé le second, Meyer se contenta d’un assentiment de sa calvitie. Alors que Thiébaut parla d’une « fanfare de pantalons rouges » et de la nécessité de « décloisonner le suffrage universel » en organisant le plébiscite.

— Et vous, Lemaître, que pensez-vous ? fit Déroulède, que les réserves du critique agaçaient.

— Mon cher ami, je suis un modeste universitaire dont les vues ont peu d’importance. Mme de Loynes permet que je me réserve.

À ce moment un maître d’hôtel apporta un mot de Magnard, annonçant qu’il passerait au dessert.

— Voilà, dit Lemaître, un homme de bon conseil. Il faudrait aussi savoir — et il se tourna vers la