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LA VIE ORAGEUSE DE CLEMENCEAU

— Non pas riche. Mais à son aise. Tenez voici sa photographie.

Mme de Loynes regarda attentivement le charmant portrait, puis conclut ainsi :

— Beauté et bonté. Je vous félicite, mon ami. Sachez seulement que vous avez maintenant un point faible, un défaut dans la cuirasse. Je n’en parlerai à âme qui vive. Mais la chose transpirera.

— J’étais malheureux. Je vais être heureux. Ah ! madame !…

— « Pour vivre heureux, vivons cachés !… »

— C’est bien ce que nous comptons faire, Marguerite et moi, dès que je pourrai m’échapper.

Quelques jours après, Arthur Meyer, qui avait des accointances avec la société, les partis d’opposition et le Ministère de l’intérieur, annonçait à Mme de Loynes qu’il avait une communication importante à lui faire.

— Asseyez-vous, quoi donc, mon ami ?

Arthur Meyer, directeur du Gaulois, journal de l’aristocratie parisienne, était chauve, avec une couronne de cheveux cannelés et relevés à partir de la nuque. Chaque matin, son coiffeur venait défriser ces touffes désobéissantes et leur rendre la bienséance. Les apophtegmes de Meyer étaient célèbres. Il avait manifesté, dès le début, pour l’engouement Boulanger, une vive sympathie, qui l’avait accrédité auprès des admirateurs du général.

— Madame, voici qui est grave. Le général est amoureux.

— Ah ! vous me l’apprenez. Eh bien, depuis quand est-il défendu d’aimer ?

— Il est à craindre que cette passion ne l’absorbe et ne le rende indifférent à ses devoirs envers la nation…