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LA VIE ORAGEUSE DE CLEMENCEAU

nous embête, disaient les services, à vouloir fourrer son nez dans nos affaires. De quoi se mêle-t-il ?… » « Ces gens sont une coterie, songeait Clemenceau. Ils nous haïssent, à cause de notre surveillance. Il importerait de les mettre au pas. » Son implacable mémoire notait tout.

Il s’en ouvrit à Freycinet, évasif et fluet, qui, dès le début de l’entretien, et prévoyant des « mises au pied du mur » — on appelait ainsi Clemenceau depuis le 18 mars — ne cherchait qu’à se défiler. Il avait même prévenu Aron, qui était chargé de faire savoir, une fois sur trois, au directeur de la Justice, que « monsieur le Président n’était pas là ».

Comme Aron, à la tache de vin, prédécesseur de Jésiersky et gardien des archives, s’acquittait consciencieusement de cette mission, Clemenceau, la canne dans la poche, entra d’autorité dans le bureau directorial et avertit de sa venue.

— Ah ! vous voilà, monsieur le député ! J’espère que tout est bien en ordre et que vous avez toute satisfaction.

On apporta des monceaux de documents poudreux, qui, d’ailleurs, ne servirent pas à grand’chose, mais donnèrent lieu, de la part de Clemenceau, à des remarques pittoresques. Le point de vue médical continuait à l’intéresser et il recommanda à Aron une certaine pâte à l’oxyde de zinc, qui le débarrasserait de son exanthème : « Il ne faut pas garder ça, mon vieux. Ça vous gênerait pour faire l’amour. »

Aron, n’ayant aucune envie de faire l’amour, pestait contre la mission qu’il avait reçue et envoyait au diable ce député impertinent.

Ayant passé aux élections à la fois dans la Seine et dans le Var, Clemenceau avait opté pour le Var,