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LA VIE ORAGEUSE DE CLEMENCEAU

personnage à demi timbré, socialiste par esprit de contradiction, pas bête ici, stupide là, passionné, rageur et installé en Suisse à Prangin, dans un site merveilleux, au bord du Léman.

Un jour Clemenceau poussa dans le cabinet de son ministre un personnage affreux, de type juif, qui se confondait en salamalecs : « Je vous amène mon vieux Corneille, général. Il a des côtés fripouillards, mais de l’entregent, et, à l’occasion, il pourra vous refiler un tuyau de choix. »

Ainsi présenté, Cornélius Herz s’efforça de rire : « Ne faites pas cette gueule-là, Corneille ; ça vous enlaidit un peu plus et dites bonjour au général. »

Il amena aussi sa nouvelle bonne amie, la ravissante femme d’un diplomate complaisant, à laquelle il parlait sur un ton tout différent, avec respect et tendresse : « Les femmes sont curieuses, vous le savez, général. Madame désirait vous voir et vous féliciter d’être si bon cavalier. L’homme, c’est la plus belle conquête du cheval. »

Ces allures dégagées n’empêchaient pas le directeur de la Justice de s’informer assidûment des desiderata de la troupe, qu’il connaissait, d’ailleurs, par la commission de l’armée à la Chambre. Les ressorts du parlementarisme n’étaient pas encore rouillés, et qui voulait savoir, en dépit de l’opposition et de l’inertie des bureaux, savait. Une section du Ministère, le 2e bureau, dit des Renseignements, attirait surtout la vigilance et la curiosité du chef du parti radical. Mais, là, il se heurtait à une consigne farouche de mutisme et il en concevait une vive irritation. Quand « tous les raseurs » étaient partis, les privilégiés et le ministre avaient une conversation à bâtons rompus, où se sentait la méfiance réciproque : « Ce pékin de Clemenceau