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LA VIE ORAGEUSE DE CLEMENCEAU

nale. Il s’en ouvrit par la suite à sa belle amie, Mme de Bonnemain, et ils en rirent de bon cœur tous les deux.

La popularité. Tel était le grand problème qui préoccupait, avec celui de la force, l’impétueux directeur de la Justice. D’une part, sans la popularité, l’adhésion des foules, on ne pouvait arriver bien haut. L’exemple de Freycinet en était la preuve. De l’autre, la griserie par la popularité menait tout droit à la velléité ou à la volonté de dictature, comme le prouvait le cas, tout récent, de Gambetta. Mais comment la popularité de Gambetta, qui semblait solide et étayée sur une nombreuse clientèle, s’était-elle écroulée si brusquement, salle Saint-Blaise, à Charonne ? Le nouveau tribun ne s’en rendait pas compte. Comme il posait la question un jour, à la Chambre, à un groupe de ses collègues, un de ceux-ci, appartenant à la région indécise du centre, lui répondit :

— C’est que Gambetta n’aimait pas vraiment le peuple et que le peuple en a eu le sentiment.

— Vous admettez donc lˆintuition des foules aveugles ?

— Certainement et je crois à la force durable de la sincérité.

— C’est un point de vue…

— Quel est donc ce collègue, robuste, à barbe blonde, qui m’a donné la réplique tout à l’heure ? Il n’a pas l’air bête… demanda Clemenceau. On lui répondit :

— Il s’appelle Jaurès, il est du Midi, comme le prouve son accent, et il est un ancien normalien.. Centre gauche.

— Tiens, il sort de Normale et il a des idées personnelles, c’est curieux.