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LA VIE ORAGEUSE DE CLEMENCEAU

faire durer le plaisir et lia amitié avec Thomson, bon garçon pas bête, bredouillant, dont il devait faire, bien des années plus tard, un ministre de la Marine.

Brisson prit comme ministre de l’Intérieur Allain Targé, ex-ministre des Finances de l’éphémère cabinet Gambetta. Homme d’une droiture reconnue, célèbre par ses mots à l’emporte-pièce, embroussaillés d’une barbe de fleuve, Targé voulait supprimer les fonds secrets et réformer la police politique. Inutile de dire qu’il n’y réussit pas. À l’Instruction Publique on remarquait un petit bonhomme du groupe radical, orné de favoris, René Goblet, haut comme une botte, asthmatique, têtu comme une mule, très patriote, et auquel chacun accordait un bel avenir. Mais celui qu’attendait le plus tragique, sinon le plus bel avenir, était Sadi Carnot, ministre des Travaux Publics, triste, noir de barbe, silencieux, ligneux et pareil à un condamné à mort, qu’il était en effet. La réputation du dessinateur Caran d’Ache commença avec son idéogramme de Carnot, pareil à un jouet en bois découpé. Aucun de ces personnages n’allait à la botte de Clemenceau, laissé dans son coin et qui ne se gênait pas pour les définir, à l’occasion, d’un coup de griffe ineffaçable : « Mais c’est un tigre », disait Targé, que ce jeu délectait. Le terme fit fortune.

Un autre point préoccupait le directeur de la Justice : maintenant que le terrain était déblayé, quel serait le général le plus capable, sans viser au coup d’État, chose essentielle, de conduire la rude opération de la Revanche. La Révolution avait eu des généraux citoyens, un Dumouriez, un Hoche. C’était un type dans ce goût que cherchait, avec une lanterne sourde, le chef du nouveau jacobi-