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LA VIE ORAGEUSE DE CLEMENCEAU

cent mille francs pour ficher la paix à Ferry. Que me conseillez-vous ?

Sutter Laumann éclate de rire tandis que le patron, prenant les papiers qu’il lui tendait :

— Et alors, qu’avons-nous en première page, ce soir ?

Cependant des collègues d’importance, de la droite à la gauche, conseillaient au leader du parti radical de renoncer, momentanément du moins, à son projet :

— Cette offensive contre Ferry serait très inopportune et ne serait pas comprise. Les nouvelles du Tonkin sont bonnes. Négrier a un grand ascendant sur les troupes. Brière de L’isle répond de tout. Il s’agit là, pour la France, d’une aubaine qui nous permettra de prendre, solidement pied dans le monde jaune. Or, le monde jaune, c’est un réservoir d’hommes et d’argent formidable. Voyez l’Angleterre avec les douanes chinoises.

D’autres se plaçaient au point de vue de la tactique parlementaire, assurant qu’une attaque directe, même motivée, ferait le jeu de l’opportunisme et augmenterait la cohésion des partisans de Ferry, alors que le glissement à gauche et l’ascension du radicalisme s’effectueraient automatiquement :

— C’est absurde, répliquait Clemenceau. On ne remporte d’avantages qu’en se battant. Le laissez-faire n’a jamais rien donné.

Les couloirs de la Chambre retentissaient de ces discussions, auxquelles me se mêlaient pas les ministres en exercice, craignant pour leurs porte-feuilles, et traitant leur redoutable adversaire « d’agité ».

« Je m’agite mais Dieu me mène », disait Clemenceau.