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les commères lui criaient des injures et menaçaient de le rosser. Les malheurs de la petite Nini étaient la fable du quartier. Le marchand d’édredons, M. Casimir, avait parlé de l’adopter. Sa canaille de père, depuis que la mère était morte, la laissait mourir de faim. S’il n’y avait pas eu la tripière, la bonne Mme Auxerre, qu’est-ce qu’elle serait devenue, la môme !…

Les bruits s’amplifient rapidement à Montmartre. On raconta bientôt que Clemenceau avait arraché des bras de son père, qui était en train de l’étrangler, une pauvre enfant qu’il avait adoptée. Mais d’autres ajoutèrent que cette enfant était sa propre fille naturelle, qu’il avait eue d’une chaudronnière et que le père légal avait été envoyé en prison, ce qui tout de même était excessif.

— Ma modeste personne — disait le directeur de la Justice — donne facilement lieu à des fables.

Il devait encore mieux le constater par la suite.

On le prévint qu’une personnalité autrichienne importante, M. Herzog, de la place financière de Vienne, désirait avoir une conversation avec lui.

— Qu’est-ce qu’il me veut encore, ce bougre-là ?

— Il n’a pas spécifié. Mais il paraît que c’est urgent.

— Demain quatre heures, au journal.

Herzog, qui avait une barbe noire et des lunettes. portait un superbe manteau de fourrure et ornait son petit doigt d’une bague, rattachée, par une chaîne, à un bracelet. Ce détail irrita le directeur de la Justice.

— Je fiens de la part de la banque d’État, par qui je suis accrédité… voici ma carte.