Page:Léon Daudet – La vie orageuse de Clemenceau.djvu/53

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
52
LA VIE ORAGEUSE DE CLEMENCEAU

compris, implorait la grâce de son ignoble père :

— Oh, monsieur, faut pas qu’on arrête papa. Après ça, il me battrait plus fort.

— Non, ma petite. Sois tranquille, il ne te battra plus. Voyez-moi comme elle est gentille ! et malingre, la peau sur les os. On croirait une mauviette.

Le spectacle de cette compassion, toute spontanée et affective, attendrissait Martel et Durranc. Ce redoutable patron était ainsi : capable de donner son temps et ses soins à une pauvre petite, rossée par son méchant père. Celui-ci, averti, accourut au journal, encore à moitié saoul, sale comme un peigne, puant comme une charogne, et beuglant comme un âne.

— Ça, c’est un peu fort, par exemple ! M’sieur le député, y a erreur. La petite est tombée. J’y suis pour rien.

— Voulez-vous vous taire, misérable, ou je vous fais emballer au Dépôt.

— Au Dépôt, ah, par exemple ! Moi, Clanchepain, votre agent électoral, au Dépôt !

— Et plus vite que ça, encore !

— Mais où qu’elle est, ma petite Ugénie, m’sieur le député ?

— Chez la concierge, et elle y restera jusqu’à demain, où je m’occuperai de lui trouver un lit dans une clinique, ou à l’hôpital.

— Mais ma fille est à moi, je suppose, m’sieur le député.

— Elle n’est plus à vous depuis que vous avez voulu l’assassiner.… Allons, ouste, foutez-moi le camp !

Le pochard leva les bras, attestant le ciel de son innocence et de son impuissance. Dans l’escalier,