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LA VIE ORAGEUSE DE CLEMENCEAU

— Ne jamais se biler, c’est la bonne règle, intervint Clemenceau, n’est-ce pas, monsieur l’abbé ?

— D’autant plus que la Providence sait ce qui nous convient, alors que nous ne le savons pas.

— Monsieur Clemenceau, dit l’hôtelier, nommant ainsi l’homme politique de crainte d’une gaffe, de part ou d’autre. Clemenceau s’inclina. Martel et Durranc sourirent.

— Je suis vendéen comme vous, monsieur Clemenceau, et d’un village pas loin de chez vous. Les Herbiers.

— Je vois ça. Je me promène par là souvent. il y a une belle vue au mont des Alouettes.

— Elle s’étend même jusqu’au bois Sabot. C’est plein de grands souvenirs par là. Charrette et les Chouans. Mais excusez-moi si je vous froisse en parlant ainsi.

— Oh, pas du tout, monsieur l’abbé ! Nous autres, radicaux, sommes pour la liberté totale des opinions. Qu’on nous laisse seulement avoir les nôtres.

Il y eut un silence. Le curé but son grog lentement, ayant plaisir à se brûler la bouche et l’estomac,

— Patron, c’est l’heure, fit observer Martel, tirant sa montre.

— Bien, partez devant, je vous rejoindrai. Le temps de régler l’addition.

Quand ses amis furent partis, Clemenceau demanda sa note. Le prêtre, baissant la voix, lui dit :

— Il paraît, monsieur le député, que vous allez interpeller notre persécuteur, M. Jules Ferry.

— Oui, mais pas pour sa politique religieuse.