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LA VIE ORAGEUSE DE CLEMENCEAU

— Fameux, déclara Clemenceau. Mais vous, Martel, vous vous foutez de la peinture. Et vous aussi, Durranc. Ah, voici que la neige se décide à tomber…

Puis, après un long silence où sonnaient les pas des promeneurs, vite amortis par les blancs flacons :

— J’aime assez la forêt, beaucoup la plaine, et je n’aime pas du tout la montagne. Elle bouche la vue. Ce qui est beau, c’est l’arrivée du printemps dans les bois, quand tout craque et que les sources commencent à couler. Je m’étonne qu’aucun musicien n’ait songé à rendre cela.

— Il y a Wagner, le grand morceau dans la Walkyrie, que joue Mullem…

— Je sais. Le mouvement est beau, mais il y manque la sauvagerie de la nature, l’irruption.

Ils revinrent à l’hôtel, vers une heure et demie, avec une faim de loup. Sur leur demande, on leur avait gardé de la soupe aux choux ; avec du lard et des haricots blancs.

— Chic, des mojettes ! Et la cuiller tient debout. Pour savourer une vraie soupe aux choux et au lard comme celle-ci, il faut avoir fait 12 kilomètres. Avec 30, ce n’en serait que mieux. N’est-ce pas, Durranc ?

— Je vous répondrai quand j’aurai bu un verre de vin. Pour ma part je suis crevé.

— Femmelette ! Qu’avez-vous donc à la place de couilles ? 30 kilomètres, c’est ma dose habituelle, quand je suis chez moi… Décidément cette soupe est excellente. Garçon, vous pouvez le dire au patron.

Quelques minutes après celui-ci arrivait, tout en blanc, et enlevait sa toque traditionnelle :

— Vous êtes satisfait monsieur le député ?…