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LA VIE ORAGEUSE DE CLEMENCEAU

— Bonsoir, mes enfants !…

— Vive Clemenceau !

M. le député haussa les épaules : « Quels gosses ! » Une heure après, ils étaient tous trois dans un wagon de seconde, bien chauffé, et le mouvement du train les faisait somnoler. Arrivés à Fontainebleau et à l’hôtel de l’Aigle Noir, ils demandèrent trois chambres au portier mal réveillé, mais qui reconnut son hôte habituel, Quand ils se retrouvèrent le lendemain, il était neuf heures.

— Nous allons casser la croûte et faire un tour en forêt, déclara Clemenceau.

Un tour ! Durranc et Martel savaient ce que cela voulait dire. Douze kilomètres à pied pour le moins et le repas de midi reporté à deux heures.

— Bah, cela nous mettra en appétit, Et puis le ciel est à la neige. Ce sera charmant,

— On va se ficher par terre, observa Durranc, peu sportif.

— Durranc, vous êtes un pessimiste. Rappelez-vous la pièce de Calderon : « Le pire n’est pas toujours certain, » Il ne tombe pas assez de neige pour que ça glisse, du moins tout de suite.

— Quelle direction prenons-nous ?…

— N’importe laquelle. L’amusant c’est d’aller droit devant soi. Tout est beau dans cette sacrée forêt. Il n’y manque que des étangs, comme chez moi en Vendée. Aussi il n’y a pas d’oiseaux, parce qu’assoiffés comme Pelletan, ils ne trouveraient pas à boire…

— C’est Jules de Goncourt, qui parlait d’un « cochon de rossignol », lequel l’avait empêché de dormir « en gueulant toute la nuit ».

On rit. Le ciel était jaune et une lumière d’éclipse baignait les arbres dépouillés.