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LA VIE ORAGEUSE DE CLEMENCEAU

augmente et enrichit constamment la classe bourgeoise. Il ne connaissait guère le monde ouvrier, principalement parisien, et il avait de lui une sourde méfiance, datant de mars 1871. L’enseignement des jeunes Français était à reprendre de fond en comble. Des lois sociales étaient rendues nécessaires par le développement fantastique de l’industrie. Oui, mais par où commencer ? Comment concilier l’ordre indispensable et l’utile poussée démocratique ?

Telles étaient quelques-unes des idées, mêlées d’Auguste Comte, de Michelet, de Blanqui, et de Charles Robin, qui bouillonnaient dans cette tête en mouvement. Clemenceau était en possession, enfin, de l’outil indispensable : un journal quotidien à Paris, organe du radicalisme comme la République Française, où Joseph Reinach avait pris la suite de Gambetta, était l’organe de l’opportunisme. Mot affreux, recouvrant une marchandise plus affreuse encore et qui prêtait aux pires transactions. La transaction, c’était là, aux yeux du jeune chef radical, le grand écueil de la politique parlementaire, celle qui repose sur les amendements et qui, dans un petit article de loi de cinq lignes, jette à bas tout ce que l’on essaie d’édifier. Combien qui, dans les cafés et les parlotes, émettaient des motions incendiaires et qui, dans les couloirs de la Chambre, composaient avec leurs pires adversaires, tantôt par l’appât d’un bachich, tantôt par snobisme, par besoin de se rapprocher des « huiles », de personnes importantes dans les conseils d’administration ! « Radical », ce terme signifiait qu’on ne se prêterait jamais aux sales et dégradantes combinaisons coutumières, qu’on maintiendrait mordicus son point de vue, qu’on ne trahirait à aucun prix la cause de