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LA VIE ORAGEUSE DE CLEMENCEAU

de perroquets et une autre de singes. Quand Camille avait un verre de trop sous le nez, il devenait irascible, supportait mal les aigreurs de sa virago-sans-monsieur-le-maire, ripostait à ses injures. Finalement, posées sur la fenêtre, les deux cages fichaient le camp sur le pavé, parmi les hurlements et grincements de la ménagerie. Clemenceau connaissait ces détails et disait de celui qu’il aimait bien : « Sacré Camille, quand on l’invite à dîner, il fait pipi dans la soupière. »

Pelletan, qui avait des dons réels d’écrivain, adjurait son cher Clemenceau, dont il faisait — étant dessinateur — d’innombrables croquis, de « lire les bons auteurs, notamment ceux du XVIe, Montaigne et Rabelais ».

— C’est là qu’on apprend, et pas ailleurs.… En outre, méfiez-vous du génitif, et en général, des incidentes. Voyez comme le père Hugo les envoie coucher, les incidentes.

— Je ne peux pas m’en passer. C’est plus fort que moi. Voltaire m’emmerde. Mon préféré c’est Diderot.

— Moi aussi. Mais il ne faut pas le dire.

— Pourquoi ça ?

— Parce que ça déplaît au suffrage universel. Rappelez-vous le mot de Pascal : « Ôtez la probabilité, on ne peut plus plaire au peuple. Mettez la probabilité, on ne peut plus lui déplaire. » Et Gambetta : « Quand le suffrage universel aura fait entendre sa voix souveraine… »

— Dieu merci, il est crevé celui-là.

— Mais vous aussi vous crèverez, patron. Nous crèverons tous.

Et Camille Pelletan se remettait à ses caricatures, frôlant, de sa barbe inculte, son papier à copie.