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LA VIE ORAGEUSE DE CLEMENCEAU

même que les autres matins. Il suait, pestait, et n’en sortait pas.

— Ah zut, alors… j’y renonce, Camille va encore se ficher de moi.

Car Pelletan, qui l’aimait bien, l’adjurait de remettre de la copie au secrétaire de rédaction :

— Écrivez comme vous parlez, nom de Dieu ! ce ne sont pas les sujets qui manquent.

— Non, mais dès que je m’assieds, ils foutent le camp.

— Et pas quand vous êtes debout ?

— Quand je suis debout, mes arguments, qui se sauvent si j’écris, se présentent à moi, dans l’ordre. Camille, j’ai besoin, comprenez-vous, pour m’exprimer, de la station verticale. Alors mes idées m’arrivent en foule, « au branle de ma voix, dit Montaigne, comme la foudre au son des cloches ». Heureux homme qui pouvez, de la petite tribune des journalistes, suivre et commenter les travaux d’une assemblée…

— Oh ! les travaux, disons les disputes.

— Si vous voulez… et ne pas perdre, cependant, le fil.

— Le fil à retordre,

— Ou à se tordre, au choix.

Camille Pelletan avait fait, au Rappel, le journal de Victor Hugo et de ses fils, des portraits impayables des membres de la droite de l’Assemblée nationale, qu’il appelait les Chevau-légers. Il était un caricaturiste de premier ordre, mais, comme on disait en 1881, un communard rouge. Il vivait, comme Paul Arène, le délicieux conteur provençal, avec une bonne amie hommasse et qui lui en faisait voir de dures. Elle et lui habitaient au rez-de-chaussée, avenue de l’Observatoire, avec une cage