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LA VIE ORAGEUSE DE CLEMENCEAU

ciencieusement et refileraient à leurs fonds secrétiers. Jusqu’au jour où il fut ministre de l’Intérieur, en 1907, le naïf Clemenceau ignora le mécanisme et les façons de faire de la redoutable administration qui a son siège rue des Saussaies.

Une fois dans son modeste appartement, et sur le point de se mettre au lit, il aperçut une lettre d’une écriture qu’il connaissait bien, et qui était celle de son marchand de papier, réclamant le paiement de ses factures pour les mois de janvier et de février. Celles-ci se montaient à un assez gros chiffre. Il fallait emprunter, car il ne pouvait plus être question de gagner du temps. Il fit le tour de ses amis et connaissances, mais la pensée d’un tapage de cette sorte lui soulevait le cœur. Il préférait s’adresser à un homme d’argent, à une de ces fripouilles qui vivent dans le sillage des députés et sénateurs avec l’espoir d’une décoration, ou d’une aubaine ministérielle. Il en avait un comme cela, du nom de Herz, parmi la troupe de ses actionnaires, et qui faisait de l’usure en grand. Peut-être avait-il eu tort, lui, de refuser le million de Paul Ménard. Mais non, les questions d’argent flétrissent à jamais l’amitié, et celle-ci est le plus précieux des biens. Son père l’eût approuvé de penser ainsi.

Tous les soirs, avant de s’endormir, il regardait longuement les portraits de ses parents bien-aimés placés sur la cheminée. Son père, avec ses traits décidés et sévères, son front têtu. Comme, sous l’Empire, on l’emmenait prisonnier à Nantes, sous prétexte de conspiration, ce père aimé et respecté, son fils lui avait dit, les dents serrées, devant les gendarmes : « Je te vengerai… » À quoi le suspect avait répondu de sa voix ferme : « Si tu veux me