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LA VIE ORAGEUSE DE CLEMENCEAU

gédie lui avait montré une foule de bonnes gens à qui l’idéal patriotique faisait accepter stoïquement la perspective de la mort immédiate. C’était là le petit bouquet de fleurs sèches, offert dans les tranchées champenoises, petit bouquet qui le suivrait dans la tombe.

Le titre était déjà trouvé : Au soir de la Pensée. La vue de son maigre jardinet, où soufflait la bise de février, aux arbres dépouillés, au ciel gris, si différent du ciel vendéen, l’incitait à des réflexions qu’il jugeait libérées de toute superstition ; et chantait, dans sa tête, le vers de Lucrèce sur les maux qu’engendre la religion, puis cet autre vers sublime sur le cri de l’enfant de naissance « ut aequum est cui tantum in vita restat transire malorum ». S’il crie, ce nouveau-né, c’est parce qu’il voit la multitude des maux et malheurs qu’il lui reste à franchir.

Une telle besogne, il est vrai, nécessitait une lecture immense. Car, pour que l’œuvre prit sa valeur, il voulait n’esquiver aucun problème et aller, comme l’avait fait Darwin, jusqu’au bout de son raisonnement. Il relirait la correspondance de Darwin, certains ouvrages de Spencer, d’autres, quant au problème du langage, de Max Müller, des livres d’archéologie, de zoologie, de paléontologie, de botanique. Quant à la physiologie et à l’histologie, il en avait gardé les principes dans sa riche mémoire et il n’aurait qu’à rafraîchir ses études de jadis, en y ajoutant les plus récents travaux. La raison humaine était constituée de telle sorte qu’elle pouvait et devait percer, dans sa marche ascensionnelle, tous les secrets de la nature, parallèles à ceux de la conscience.

Ainsi méditait le vieux vainqueur. Il paraissait certain, maintenant, que la balle, reçue dans le