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LA VIE ORAGEUSE DE CLEMENCEAU

sur les militaires s’étaient profondément modifiées. Celles aussi sur les religieux, qu’il avait vus à l’œuvre, lors de ses innombrables visites au front. De celles-ci il disait qu’elles l’avaient fait revenir de son pessimisme quant à la nature humaine, capable d’un tel sursaut de dévouement et de sacrifice. Tout son système émotif faisait craquer son système intellectuel. Il avait la ferveur du risque et de la tendresse émue, vigilante, incessante, pour ceux qui risquaient. Les âmes et les corps logés dans les tranchées lui faisaient de semaine en semaine, de jour en jour, une transfusion d’esprit et de sang vendéen.

Il existe, à ce sujet, dans le beau livre, vibrant et pieux, auquel je me suis référé souvent, de Gustave Geffroy, intitulé Georges Clemenceau, une photographie impressionnante (page 123). Le Vieux est assis sur des planches de bois, déjeûnant, à la six-quatre-deux, avec trois combattants. Ses cheveux blancs dépassent son feutre mou. Il y a en lui un contentement, une résolution, une gentillesse inexprimables. Il y a, autour de lui, l’émanation, non moins inexprimable, du succès prochain. Car à avant, comme à l’arrière, la grande caractéristique de cette période de la guerre, de notre bord, c’est la conviction qu’on l’emportera. Je circulais, alors, à Paris et en banlieue, partout. Sauf à la Chambre, et en dépit des secousses du 21 mars et du 27 mai, cette conviction était absolue. Mon beau-père et oncle Léon Allard, combattant de 1870, à Buzenval et ailleurs, la transmettait autour de lui : « Il les aura ». C’était comme la continuation de la certitude de Verdun, et de la certitude de la Marne. Plus j’y réfléchis et plus je pense que le mot de von Moltke, le neveu du grand vieillard et chef