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LA VIE ORAGEUSE DE CLEMENCEAU

homme et lui ft préparer une chambre, car il ne pouvait rentrer chez lui par un temps pareil.

— Quels braves gens — dit Clemenceau — ceux de cette génération-là ! Il me rappelle Blanqui. Avez-vous remarqué le silence du père Hugo ? Est-il toujours comme cela, Lockroy ?

— Oui, mais devant le jupon d’une bonne, il se réveille. On ne peut pas le tenir, il est effrayant. C’est Priape.

— Je croyais qu’il pleurait Juliette.

— Il pleure Juliette et il pelote Blanche. Vivement le Panthéon !

On rit. Après avoir ri, Clemenceau dit :

— Il me fait pitié, le pauvre vieux. Au Sénat, où nous l’avons fait entrer, tout le monde rigole dès qu’il ouvre la bouche. C’est sans doute pour cela qu’il se tait. Bah ! À son âge serons-nous seulement aussi verts que lui ? À quoi pensez-vous, Challemel ?

— Je pense, comme vous, Clemenceau, comme vous Lockroy, comme Mme Adam, que l’abandon de la Revanche est une chose grave et qu’il faudrait le dénoncer à la tribune. Mais une réaction allemande serait à craindre. 1875 n’est pas si loin. Il faudrait prendre la chose indirectement.

— Sur la question coloniale par exemple. L’occasion peut s’en présenter.

Paul Ménard, content de la soirée et du souper, survint en se frottant les mains :

— Eh bien, que faites-vous là, les conspirateurs ? Vous berciez le pauvre Considérant ?

— Nous parlions de Mont-sous-Vaudrey, de la revanche, dont le désir s’éloigne, et des colonies.

— Ces graves problèmes peuvent attendre. Il serait peut-être temps de s’aller coucher. Je prends demain de bonne heure mon train pour