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LA VIE ORAGEUSE DE CLEMENCEAU

— Jules Ferry et sa clique, dit Clemenceau, ont pris la suite de Gambetta. Nous sommes à la remorque de l’Allemagne. Bismarck nous permet de jouer aux colonies et l’idée de Revanche est fichue. C’est aussi paraît-il, l’idée de Mme Adam, du moins au dire de Marcère, son confident.

— Marcère n’est pas une autorité, dit Challemel. El n’est que le reflet du milieu Adam, qui est lui-même le milieu militaire, ignorant en politique.

— Mais c’est un honnête homme, ajouta Lockroy, et ce qu’il raconte est sûrement vrai. Au fait, savez-vous que les anciens gambettistes montent quelque chose contre le père Grévy, contre cette vieille frappe de père Grévy ?

— Qu’est-ce qu’on lui reproche, à Mont-sous-Vaudrey ?

— Il faisait filer Gambetta et sa maîtresse par la Sûreté Générale lors de leurs voyages en Allemagne. Léonie Léon aurait là-bas un prétendu neveu. Bref, Grévy connaît toute l’histoire. C’est du moins ce que raconte Portalis.

— Qui ça, Portalis ?

— Le directeur du 19e Siècle, un type à fonds secrets.

À un moment, un ronflement se fit entendre derrière un paravent japonais. Lockroy se leva, écarta le paravent, et le dormeur, un vieillard aux longs cheveux blancs, les yeux bouffis de sommeil, apparut. C’était le père Considérant, le quarante-huitard, qui avait fait l’effort de passer un habit à l’ancienne mode et élimé, pour voir danser les petits-enfants de Victor Hugo. Mais fatigué par le brouhaha, dépaysé dans le temps, il avait négligé d’aller souper et s’était endormi. On avertit Mme Aline Ménard qui, filialement, réveille le vieil