Page:Léon Daudet – La vie orageuse de Clemenceau.djvu/215

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
214
LA VIE ORAGEUSE DE CLEMENCEAU

comme un enragé, — le président du Conseil se trouvait alternativement en rapport avec deux sortes de personnes : « Les combattants et les jean-foutre. » Il n’écoutait les seconds que distraitement ou les repassait à Mandel, habile à tirer le principal du secondaire et l’intéressant de ce qui ne l’est pas. Il s’arrangeait pour avoir de fréquents et rapides entretiens avec Ignace, dont l’esprit bref et décidé avait son audience. Imbu de Démosthène il cherchait, avec son sous-secrétaire d’État à la justice militaire, les mulets chargés d’or de Philippe de Macédoine, en l’espèce de Guillaume II. Il avait foi en Bouchardon, juge d’instruction né, personnage à la Balzac, pénétrant et équilibré, et qui devait découvrir en effet le coffre-fort de Florence, et le grotesque « Rubicon », calqué sur celui de Napoléon III, excellent modèle de rubiconerie.

Ayant eu, depuis lors, à la Chambre, de longues conversations avec mon collègue Ignace, que j’avais connu jadis secrétaire de Lockroy, je m’étonnais qu’à cette époque les éléments allemands de la police politique française n’eussent pas comploté l’assassinat de Clemenceau, comme ils devaient le faire en 1919 :

« C’est, me répondit Ignace, parce que nous avions un préfet de police remarquable, M. Raux, que Mandel, le général Mordacq et moi avions mis en garde contre une telle éventualité. Il est certain que l’assassinat de notre « Bismarck » eût été, à cette heure du retournement de la guerre, un malheur irréparable pour la France, et, pour l’Allemagne, un vrai chopin. »

Le retournement de la guerre, le Vieux le réalisa très rapidement et de la façon suivante : (C’est le général Mordacq qui le raconte, dans son grand