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LA VIE ORAGEUSE DE CLEMENCEAU

chaque allié tirait de son côté, sans coordination des efforts, sans plan d’ensemble. On parlait bien de l’épuisement allemand, de la famine en Allemagne, mais il y avait chez nous, après trois ans de guerre, du relâchement et un mécontentement diffus. Des groupes de poilus en congé, repartant pour les tranchées de première ligne, fredonnaient en bêlant : « Où t’en vas-tu, soldat ?.… À l’abattoir… » — « Quand reviendras-tu, soldat ?… Jamais. Bée…. » Les articles, enflammés à froid, de l’Écho de Paris et des journaux similaires faisaient rire. L’abus des bobards avait beaucoup contribué au scepticisme. Le dernier président du Conseil, tiraillé, en bon mathématicien, par des irrésolutions de sens contraire, était à bon droit considéré comme un fantoche. Il en était de même du président de la République Poincaré et de sa casquette de tranchées, dite « casquette de ses propres tranchées ». Quand il se rendait au « front occipital », ce robin avait l’air d’un huissier en corvée, faisait semblant de prendre des notes et, d’une voix glacée, démontait le moral des troupes sous prétexte de le remonter : « Il gèlerait une douzaine d’œufs. » Des chansons d’un tour rude circulaient sur son compte. Des hommes ayant accompli une action d’éclat demandaient à ne pas lui être présentés. On blaguait son titre d’ancien chasseur à pied… « Qu’il faudrait chasser à coups de pied. »

Mais, à l’apparition du « Vieux », tous ces signes de malaise disparurent comme par enchantement. Sa déclaration ministérielle fit battre les cœurs, réveilla les énergies fléchissantes, désengourdit la nation, combattante et non combattante :

« Nous nous présentons devant vous avec