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LA VIE ORAGEUSE DE CLEMENCEAU

fuyant Paris, Clemenceau dit : « En effet, nous sommes trop loin du front. » Il avait été bouleversé par l’élan universel de tous ces braves gens de France, auxquels on répétait sans cesse qu’il n’y aurait plus jamais la guerre et qui avaient couru aux armes sans un moment d’hésitation. Sa rage s’était tournée contre les embusqués, mais, là aussi, la censure veillait, car nombre de censeurs, en âge de porter les armes, s’étaient sauvés dans ses bureaux. Caillaux, sage comme une image, était receveur aux armées. On ne disait pas que sa femme se fût engagée à la Croix-Rouge, étant rouge elle-même du sang de Calmette. Quant à Malvy, on apprit bientôt qu’il avait loué à Arcachon, aux allées de Mentques, une somptueuse villa pour sa maîtresse, la fille Nelly Béryl, cueillie par lui dans un bordel de la rue des Bons-Enfants, et dont il devait être l’héritier !

Lors de la fuite éperdue à Bordeaux, dont on eut d’amusants récits, Gabriel Hanotaux, de l’Académie française, pris d’un délire sacré, écrivit dans la Petite Gironde : « Bordeaux sera notre citadelle. » Huit jours avant la fuite, dans la Revue hebdomadaire, le même lièvre paladin assurait que François-Joseph, empereur d’Autriche, serait le rempart de la paix et écrivait solennellement : « Le doyen des monarques n’a peut-être vécu si longtemps que pour cela. » Comme son ami Poincaré, Hanotaux a toujours été dominé par la crainte. Ils auraient dû écrire un ouvrage en collaboration intitulé : Nos peurs.

Si enchaîné qu’il fût, le journal du « vieux ronchonneau » portait et son tirage atteignait cent mille exemplaires. Mais non content de critiquer les faiblesses de la politique de guerre et les défail-