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LA VIE ORAGEUSE DE CLEMENCEAU

bulles brillantes et de métaphores, et, dans les cafés du Var et du Gaillacois, on opposait une verve à l’autre.

Alors Clemenceau, qui tenait, lui aussi, à l’assentiment des gens de son patelin vendéen, résolut d’aller les chapitrer dans toute sa gloire de ministre de l’Intérieur et, trompetté par le Matin, il s’en fut haranguer ce personnage imaginaire, qu’il appela « le dernier chouan ». Ce fut le banquet de 3.000 couverts de La Roche-sur-Yon. Le Matin publia un compte rendu pompeux de la cérémonie, de la harangue du « patron » et de l’attitude déférente des arrière-petits-fils de « la guerre des géants », auxquels le ministre exposait en substance que la bataille avait été belle, mais que la Révolution avait triomphé partout, qu’elle était en train de pacifier l’univers par la démocratie, que Dieu n’existait pas, puisqu’on ne le voyait nulle part et que le vrai Dieu c’était la science. Les mots, les définitions partaient comme des balles. Le dernier chouan semblait, le brave type, médusé et momentanément convaincu.

Oui mais, vingt ans après, — c’est-à-dire une paille, par rapport aux siècles écoulés, — une réunion monstre au mont des Alouettes, au cœur de cette même Vendée, à deux pas des Herbiers, réunissait, à l’appel de l’Action Française, soixante-dix mille chouans, chiffre de la préfecture. Ces soixante-dix mille chouans de bonne chouannerie portaient à leur veste l’insigne du Sacré-Cœur, et celui qui écrit ceci leur expliquait que la Révolution était une saleté, un bloc en effet, mais de boue et de sang et que c’étaient leurs pères qui avaient eu cent fois raison de défendre le trône et l’autel contre les abominables crapules de Paris et de Nantes. Ainsi le dernier chouan avait fait des petits.