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LA VIE ORAGEUSE DE CLEMENCEAU

sait brusquement et, comme on dit, à propos de bottes.

L’unité de sa personne se trouvait donc dissociée au moment où elle aurait pu le servir, rien de grand n’étant possible ici-bas sans une forte synthèse intime. Pour commander aux autres, la monarchie de soi-même est nécessaire.

Il avait été très frappé par la thèse d’Alphonse Daudet sur l’importance, pour un chef, de la présence réelle et, se trouvant tout de suite en présence de la question sociale (grèves de Lens), il résolut de l’appliquer. Il alla haranguer les grévistes sur place, leur parla comme à des lecteurs de la Justice, ou de l’Aurore, se lança dans ses chères considérations sur les Droits de l’Homme, le progrès et l’évolution humaine, dont les braves gens ne savaient pas trop si c’était du lard ou du cochon. Les directeurs et actionnaires des sociétés minières le déclaraient entre eux un démoc-soc. Les mineurs le croyaient acquis à la cause du patronat et Clemenceau s’irritait de cette double incompréhension. Il interdisait sévèrement à la troupe de faire usage de ses armes, sans pour cela se priver, en bon Jacobin, de la faire intervenir, ce qui fait qu’un officier de dragons fut tué à coups de briques et que des soldats furent blessés.

C’était là un mauvais début, qui fit que ses anciens adversaires allaient répétant dans les couloirs :

« Eh, eh, pas si malin que ça, le vieux. »

Ces propos, qu’on lui rapportait fidèlement le mettaient hors de lui. Car il avait la prétention, mutatis mutandis de réussir le « grand ministère » qu’avait raté Gambetta. Son éloquence sobre et rapide s’affronta à celle de Jaurès, pleine de