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LA VIE ORAGEUSE DE CLEMENCEAU

Il paraît bien que la conviction de Clemenceau ait été affermie, pour ne pas dire consolidée, par celle du lieutenant-colonel Picquart, dont il devait faire, par la suite, un ministre de la Guerre, et auquel il portait une réelle affection. Picquart avait pour conseil un homme d’affaires assez obscur et tortueux, du nom de Leblois, lequel devait, par la suite, diriger contre Clemenceau une accusation infamante… « une de plus ». Cependant que l’épisode dit du « petit bleu » créait autour de Picquart lui-même une atmosphère de suspicion ténébreuse. Mais le rédacteur en chef de l’Aurore, son parti une fois pris, ne devait se laisser arrêter par aucune considération et il était dans son tempérament, s’il avait fait fausse route, de ne pas revenir en arrière. Il n’avait de goût, comme il l’a dit lui-même, que pour « les résolutions sans retour ».

C’est ainsi qu’il ne paraît pas que l’hypothèse de l’agent double qu’était vraisemblablement Dreyfus ait traversé son esprit. De toutes façons il ne s’y arrêta pas. Mais quand celui pour lequel il avait combattu fut, une fois gracié, en sa présence, il lui trouva « une sale gueule ».

Dreyfus étant venu lui rendre visite à l’Aurore, il lui fit dire qu’il n’y était pas. Picquart se comporta de la même façon. Avaient-ils l’un et l’autre appris quelque chose ?

L’Affaire rapprocha des hommes qui jusqu’à elle étaient séparés par leurs opinions, leurs convictions, leur passé, leur race. Elles en divisa d’autres qui jusqu’à elle étaient étroitement unis. Elle creusa entre les Français des villes un gouffre que seule la guerre devait combler. Par contre nos paysans ne s’en soucièrent pas et c’est sans doute la raison pour laquelle l’étrange querelle ne dégénéra pas