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LA VIE ORAGEUSE DE CLEMENCEAU

Zola fit le geste évasif d’un qui a laissé tomber une potiche. La deuxième figure du menuet de Don Juan commençait.

Hugo était allé se coucher dans sa petite turne, toute proche de l’avenue Victor-Hugo. Un mirifique souper fut servi dans la grande salle à manger et le vestibule, et Armand Gouzien, le cher Gouzien, musicien comme la musique elle-même, entonna le chœur habituel :

Chez les Ménard.
Les invités sont des veinards
Ran pan pan, Ran pan pan,
Ran pan pan plan
.

Gustave Geffroy, collaborateur de Clemenceau à la Justice, arriva intimidé pendant qu’on était à table. Confident du patron, breton bretonnant, de visage barbu artisanesque et rural, serrant les dents quand il parlait, c’était un homme de haute valeur, passionné pour la peinture de Manet, de Monet, de Renoir, de Sisley, de Carrière, pour la littérature des Goncourt et d’Alphonse Daudet, familier du grenier d’Auteuil, de le rue de Belle-chasse et de Champrosay. C’était aussi une noble nature et un ami à la mode antique, tel que sorti d’une page de Sénèque.

Clemenceau demeuré debout lui dit :

— Asseyez-vous près d’Albert, il y a encore de la place. Rien de neuf au journal ?

— Rien, monsieur. C’est Sutter Laumann qui fait la feuille ce soir.

— Ça va bien.

On apportait les salmis, spécialité de la maison, dont Goncourt, grippé ce soir-là, répétait qu’ils ne