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LA VIE ORAGEUSE DE CLEMENCEAU

le cou avec la chaleur d’un jeune homme. Elle se laissa faire, mais avec tant de mélancolie et des yeux si tristes qu’il s’arrêta au bord de son corsage et n’insista pas. Le sentiment qu’elle en aimait un autre venait de le traverser comme une lame de feu. Il se sentit ridicule en vieux monsieur obstiné auprès d’une merveille de la nature, qui ne voulait pas le rebuter et ne pouvait pas lui céder. Il resterait un ami et prendrait son parti de n’être pas un amant.

Or cet amour violent, et qui avait frôlé l’amour passion, était la manifestation sentimentale d’une seconde jeunesse qui venait d’apparaître en lui, avec un redoublement de vitalité organique et intellectuelle, un redoublement aussi d’émotivité. Selma s’était trouvée juste à point pour lui révéler ce phénomène intérieur dont il n’avait eu jusqu’alors aucun soupçon. Qu’allait-il faire de ce bouillonnement ? À quoi allait-il employer ce renouveau d’ardeur et de combativité dont Selma n’avait pas voulu ? À un roman de passion ? À un autre drame intime qui continuerait le Voile du Bonheur ? À un grand voyage aux Indes, le rêve de sa vie et qui lui ouvrirait de nouveaux horizons ? À un vaste ouvrage de philosophie dénombrant, avec une foule d’exemples à l’appui, tirés de toutes les sciences biologiques, le néant des croyances, et l’illusion de leurs zélateurs ?

Ou rentrerait-il dans la vie politique active, par la porte du journal, de la Chambre ou du Sénat ? Ou servirait-il une grande cause, mais laquelle ?

C’est alors qu’éclata l’affaire Dreyfus.