Page:Léon Daudet – La vie orageuse de Clemenceau.djvu/153

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
152
LA VIE ORAGEUSE DE CLEMENCEAU

voir, monsieur. J’ai eu bien des patronnes dans ma vie. Je n’ai jamais connu sa pareille.

— Je m’en doute… et gentille avec ça ?

— n’y a pas meilleure. Si je suis enrhumée, elle m’achète des pâtes pectorales. Si je m’ennuie, elle me prête des livres. Mais c’est l’attache des seins qui est chez elle exactement comme sur le portrait, vous savez bien, qu’il y a un rideau rouge devant.

— Il est reparti, monsieur Helmuth ?

— Oui, il est retourné chez lui. Sûr qu’il est amoureux de mademoiselle ?

— À quoi ça se voit-il ?

— À ce qu’il se met à genoux devant elle pour un oui, pour un non, et, quand il la regarde, il fait des yeux tout ronds. Et puis j’ai entendu à travers la porte.

— Quoi, qu’avez-vous entendu ?

— C’était pour la nouvelle séance de pose, à cause du genou.

— Eh bien, que disait-il ?

— Egartez le manteau. Enlevez-le gomplètement. Je veux vous voir tout entière.

La fille riait, en imitant le Bavarois, et ces propos enflammaient Clemenceau davantage. Toutefois et si pressante que se fit son assiduité, les semaines succédèrent aux semaines sans qu’il eût avancé d’un pas dans sa cour acharnée. Parfois il apportait un volume de vers, un Hugo, un Baudelaire, un Villon, et en lisait à sa bien-aimée, avec sa voix ensorcelante et ses regards de feu. Elle l’écoutait, étendue sur un canapé, avec ses beaux yeux langoureux et noyés. Ou bien c’était d’un acte de Shakespeare, d’Antoine et Cléopâtre, de Comme il vous plaira qu’il la régalait, prononçant l’anglais avec une intonation qui n’appartenait qu’à lui. Quelquefois il était retenu