CHAPITRE VI
Une belle Étrangère
lemenceau, pour la première fois de sa vie,
était pincé à fond et fort étonné lui-même de
l’être à ce point. Il s’agissait d’une ravissante
jeune fille américaine, Selma Everdone, dont la
mère, également fort belle en son temps, était la
veuve d’un officier suédois. Selma était grande,
d’un blond très pâle, avec de magnifiques cheveux
et des yeux d’eau, où la langueur s’alliait à l’iromie.
Sa plastique était célèbre, car le peintre allemand
Siegfried Helmuth avait fait d’elle un portrait
grandeur nature en « déesse et naïade », où une
grande cape de velours noir laissait voir d’elle une
partie des épaules, les seins ronds, fermes, pointants,
de la Vénus de Cyrène, un ventre poli et
cintré comme un verre de montre sur lequel une
main délicate ramenait, juste à temps, un pan du
manteau. Mais la ligne alerte et pleine des jambes
restait à découvert, ainsi qu’un petit pied posé bien
d’aplomb, aux doigts longs, aux ongles brillants
comme des bijoux. Cette troublante image se trouvait
dans la chambre de Selma, dissimulée par un
rideau rouge — Clemenceau disait « le rideau
cramoisi » — qu’elle écartait gentiment pour ses