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LA VIE ORAGEUSE DE CLEMENCEAU

merveilleuse voix, montra la fonction de l’écrivain, telle qu’elle lui apparaissait à travers les âges et chez les Goncourt. Il avait potassé son affaire, longuement réfléchi à ce qu’il allait dire — la parole ne va pas sans une méditation préalable — et il fut unanimement applaudi. Edmond de Goncourt remercia brièvement. Il était pâle et comme bouleversé par l’évocation de son cher Jules qui, hélas ! ayant été à la peine, n’était pas à l’honneur auprès de lui. Cet hommage, tardif et affectueux, couronnait leur vie littéraire. Les malins assuraient que le discours de Clemenceau marquait son renoncement à la vie politique. Mais Geffroy, qui le connaissait bien, riait de cette interprétation et de cette prophétie.

Mme Octave Mirbeau avait eu la délicate pensée de garnir d’insignes-souvenirs une corbeille qui fut placée devant le héros de la fête. Dans sa distraction Goncourt oublia de distribuer les insignes et emporta la corbeille et les petits rubans chez lui, où sa servante, Pélagie, les mit dans un placard. Ce banquet devait être le dernier qui réunît dans un sentiment commun d’admiration et d’amitié les hommes de lettres et les principaux journalistes de Paris. Bientôt ils allaient être séparés et divisés par une affaire mettant en cause un officier juif, dont le cas suscita, chez nous et en Europe, une véritable guerre morale.

Les recueils d’articles de Clemenceau et son roman n’eurent pas le retentissement qu’on aurait cru, étant donné la personnalité de l’auteur. Il ne faut pas induire de la réputation ou de la renommée politique au succès littéraire. Ce sont deux compartiments distincts. On cite un cas, il est vrai saisissant, celui des Commentaires de César qui ont