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LA VIE ORAGEUSE DE CLEMENCEAU

— Les Goncourt ont découvert l’art du XVIIIe siècle et l’art japonais. Spa, essepas, c’est indéniable. Je ne suis pas assez calé pour juger leurs travaux historiques. Quant à leurs travaux littéraires, j’aime ça et en particulier Madame Gervaisais et Germinie Lacerteux.

— Je vous remercie. Je tiens mon topo. Il y aura beaucoup de monde, sans doute, à ce banquet ?

— Ce sera plein. Les Goncourt ont des fanatiques, surtout chez les jeunes, spa.

— Je sais. Alphonse Daudet parlera avec son cœur et ce sera très bien. Quant à Poincaré, Je ne vois pas trop ce qu’il pourra plaider là dedans. Il est vraisemblable qu’il n’a pas lu Goncourt.

Carrière rit, ce qui plissa son beau front, la peau tannée de son visage rustique. En tout il cherchait l’âme, ce principe mystérieux si difficile à saisir, qui dépasse même la personnalité. C’était elle qu’il désirait fixer sur sa toile, dans son enveloppement de vapeurs, l’âme d’une mère allaitant, celle d’une enfant qui berce sa poupée, celle d’un artiste, celle d’un combattant, celle qui englobe plusieurs êtres et par conséquent plusieurs destinées. De ce dernier genre était l’âme de Clemenceau. « Une des plus blanches que j’aie connues, disait Carrière, et dont la blancheur fait mal aux yeux. » Clemenceau connaissait ce propos et en était secrètement flatté.

Le banquet eut lieu au Grand Hôtel, très nombreux en effet, très cordial et d’un menu très satisfaisant. Au champagne Alphonse Daudet, d’une voix émue, remercia celui qui « lui avait été bien bon dans des heures bien mauvaises » et tout le monde eut les larmes aux yeux. Poincaré fut nul et poncif dans l’expression, joignant l’inutile au désagréable, à l’inverse du précepte d’Horace. Clemenceau, de sa