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LA VIE ORAGEUSE DE CLEMENCEAU

Clemenceau se taisant, le bavard revint bientôt à la charge : « Excusez-moi si je vous parle franchement. Je sais que vous en tenez pour l’Alliance anglaise. Moi ni pour les écrevisses, ni pour les casques à pointe, telle est ma devise. Pardonnez-moi si je ne vous cause plus. Il faut que j’aille contrôler mes billets. Au plaisir, monsieur le député ! »

Le banquet Goncourt, offert au vieux maître par ses admirateurs, était en vue et Clemenceau s’en entretenait avec le peintre Carrière, qui était en train de faire son portrait. Il aimait bien Carrière, qui avait une tête rocailleuse et cirée, aux yeux demi clos, au petit nez, et parlait confidentiellement, en entrelardant son discours de « spa, oui, n’est-ce pas » comme susurrés. La toute jeune fille d’Alphonse Daudet, Edmée, dont il faisait le portrait, aux côtés de son illustre père, lui avait dit un jour : « Tu mets du blanc, du jaune, du bleu, du vert, et ça fait toujours du gris. » Il en avait été charmé. C’était aussi Carrière qui disait précipitamment de Barrès : « C’t’un bossu opéré. »

— Et alors, demanda Clemenceau, que la pose embêtait, que dit Goncourt ?

— Il dit que la remise de son banquet, à cause de la maladie de Coppée, lui est insupportable et qu’il faut, à tout prix, que la cérémonie ait lieu.

— C’est bien ça, Coppée peut crever.

— Spa, essepas, Goncourt n’a jamais eu de veine… alors cette petite machine le séduit.

— Oui, bien sûr, En 18, publié le jour du coup d’État du 2 décembre. Mais en somme, d’après vous, Carrière, qu’est-ce qu’il est, politiquement, Edmond de Goncourt ?

— Spa, essepa. C’est un réactionnaire révolutionnaire.