Page:Léon Daudet – La vie orageuse de Clemenceau.djvu/131

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
130
LA VIE ORAGEUSE DE CLEMENCEAU

— D’abord je ne suis plus député. Ensuite, Je ne me crois pas la science infuse et je suis ici pour m’instruire.

Un camarade intervint : « Alors, voyons, Surcoffre, te fâche pas. Le citoyen Clemenceau n’a pas voulu te blesser. »

L’entretien se perdit ainsi dans les sables et se conclut par de solides poignées de mains. Paul Ménard rit de bon cœur en apprenant ces détails : « Il y a longtemps que je sais que l’ouvrier est imperméable. On croit qu’on va le confondre, puis il vous échappe. »

— C’est tout de même cocasse d’entendre un ouvrier d’industrie parler des bêtises de la Révolution !

— Il y a chez eux pas mal de réactionnaires de tempérament. Les catholiques sont même assez nombreux. Ils ne le montrent pas, parce qu’ils me savent protestant. Mais je sais que plusieurs m’appellent « le parpaillot ». La plupart d’entre eux font baptiser leurs enfants.

— Ils n’ont pas encore compris que la religion est un leurre, qui leur promet après la tombe ce qu’ils n’auront pas eu de leur vivant.

— Après tout si ce leurre les aide à supporter les maux et les tristesses d’ici-bas.

— Vous parlez comme un ratichon, cher ami. Notre devoir est d’éclairer ceux qui nous entourent, même au risque de leur inculquer l’esprit de révolte.

Paul Ménard ne répondit pas, afin de ne pas contrarier son hôte ; mais il n’avait aucune envie de se suicider, en favorisant dans ses usines l’esprit de révolte. Il sut gré à Surcoffre de ses raisonnables propos et se promit de lui témoigner son contentement à la première occasion.