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LA VIE ORAGEUSE DE CLEMENCEAU

La conversation avec les ouvriers fut, elle, une comédie. Les plus dégourdis employaient une terminologie abstruse, dont Clemenceau ne comprenait pas le premier mot et ils étaient tels que des paysans de Seine-et-Oise ou de l’Oural discutaillant, avec des cafres, sur des problèmes de Valparaiso ou des Pampas.

Un d’entre eux, du nom de Surcoffre, beau parleur, regretta vivement que le patron ne fût pas présent à l’entretien : « C’est encore lui qui s’y connaît le mieux. Nous autres on manque d’instruction. »

— Mais vous avez votre expérience et vos besoins propres.

— Ils sont pas toujours propres, nos besoins.

On rit. Surcoffre trouvait légitimes les gains du patronat, moins légitimes ceux des actionnaires et très souhaitable la participation aux bénéfices. Mais tout devait se passer légalement. Il ne fallait pas faire du vilain, ni recommencer les bêtises de la Révolution.

Clemenceau, en entendant ces mots, bondit :

— Comment, les bêtises de la Révolution ! C’est elle qui nous a tous émancipés.

— Il n’y paraît guère.

— Si nous sommes en train de parler gentiment comme en cette minute, c’est à elle que nous le devons.

— Alors, citoyen Clemenceau, vous croyez qu’on causait pas les uns avec les autres avant la Révolution ?

— Mais si, ce n’est pas ce que je veux dire… Vous n’y comprenez rien, mon vieux.

— Je comprends très bien et que vous êtes tout juste poli. C’est pas parce que vous êtes député que vous avez la science infuse.