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LA VIE ORAGEUSE DE CLEMENCEAU

d’autres balivernes, écoutaient pieusement les sermons fades du curé et se signaient quand tonnait l’orage. Il rêvait d’une instruction générale universellement répandue, chassant la notion du mystère, au courant des fonctions grosso modo du foie et des reins, de la circulation du sang. N’était-ce pas cela le devoir de la démocratie ? N’était-ce pas cela le legs de la Révolution et le mirage de Condorcet ? N’était-ce pas cela le but du suffrage universel ? Mettre tout un chacun à même de concevoir et discuter ses propres intérêts, en même temps que ceux de la collectivité. Dé]à il voyait une suite à son roman et, chaque jour, un nouveau problème se dressait dans son esprit curieux, mais fétichiste, avec une solution conforme à la thèse de Spencer et des autres évolutionnistes. Rempli de préjugés sans s’en douter, il définissait la Sagesse par une disparition totale des préjugés.

L’Illustration le talonnait pour la livraison du manuscrit de Les plus forts, pendant que son nom occupait encore la vedette, et dans la crainte qu’il ne fut promptement oublié, comme il est de règle à Paris. Mais les journaux américains continuaient à lui consacrer de longues tartines, remplies de renseignements imaginaires, assurant qu’il pratiquait couramment la vivisection et qu’avec quelques-uns de ses amis, il préparait, en secret, un schisme. L’arrivée et le déchiffrement de ces coupures lui procuraient de bons moments.

La femme, assez rapidement, lui manqua physiquement et il inaugura une correspondance, tantôt sentimentale, tantôt brutalement sexuelle, avec deux anciennes maîtresses, toutes deux appartenant au monde du théâtre. L’une et l’autre manquaient de naturel, et, s’adressant à un homme regardé