Page:Léon Daudet – La vie orageuse de Clemenceau.djvu/12

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
11
LA VIE ORAGEUSE DE CLEMENCEAU

ment assez solide, — sauf si ses passions l’emportaient, — d’honnêteté scrupuleuse, et de clairvoyance politique médiocre. Il chérissait et admirait Clemenceau et devait, aux heures dures, aux épreuves de la Providence, à laquelle Paul Ménard non plus ne croyait pas, lui proposer, pour le tirer d’affaire, une fortune (un million de l’époque) que Clemenceau, magnanimement, refusa.

Georges Périn, lui, n’avait pas le sou. Mais c’était une nature héroïque, un type à la Schoelcher et à la Blanqui, qui mettait l’honneur avant tout. Il avait un bon visage barbu, un nez fort, la voix basse et affectueuse, la bouche arquée aux lèvres rouges, et un sentiment, distant et platonique, pour l’insensible Aline Ménard. Il était, à la Chambre, universellement estimé. Il eût donné sa vie pour Clemenceau. Sa nature était droite, comme celle de Victor Schoelcher, et inaccessible aux tentations. Il savait beaucoup de choses et, moraliste strict, avait connu beaucoup de gens. Il n’était pas de compagnie, silencieuse et dévouée, plus agréable que la sienne. Il était absolument détaché de lui-même et prêt à tous les sacrifices. Avec cela bon tireur en duel et d’une vaillance concentrée. Georges Périn était une figure.

Challemel-Lacour aussi était une figure de toute autre sorte. Un article sur Schopenhauer, dans la Revue des Deux Mondes, avait fait sa réputation intellectuelle, ainsi que son télégramme, lyonnais et fameux : « Fusillez-moi tous ces gens-là. » Ce soir-là, introduit dans le milieu radical, auquel il était assez hostile, il s’était cependant rapproché d’Allain Targé, qui lui paraissait un demi-refuge. De temps en temps, une sentence glacée sortait de ses lèvres, et son front, saturé de méditations, se