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LA VIE ORAGEUSE DE CLEMENCEAU

les origines lui échappaient, ainsi qu’à ses collaborateurs, Clemenceau sortit avec une trempe exceptionnelle en même temps qu’avec un immense dégoût et un sens de l’ironie intact. Ses idées biologiques, philosophiques et psychologiques n’en furent aucunement modifiées. Il avait pris bonne note de ses faux amis, des lâcheurs qui, au cœur de la crise, avaient cherché à lui couper les jarrets et se réjouissaient à l’avance de sa défaite électorale. Il avait également pris bonne note de ceux qui avaient fermé l’oreille aux calomnies et qui étaient les hommes de lettres, Daudet, Goncourt, Zola, Mirbeau et les artistes, Monet et Rodin en tête, ainsi que les étudiants en médecine ou carabins, hier rebelles au boulangisme. Chez lui, comme chez les êtres forts, la reconnaissance était égale à la rancune. À quoi allait-il employer ses nouveaux loisirs ? Au roman, au théâtre, peut-être à un grand pamphlet politique, où il dirait tout à trac ce qu’il avait sur le cœur. Par ailleurs, il n’avait plus un sou ; son journal croulait, c’est-à-dire son outil d’attaque et de défense. Le socialisme ne le tentait pas et son instinct, paysan et national, se révoltait contre lui. L’Histoire révolutionnaire ? Mais ferait-il mieux, ou même aussi bien que Michelet ?

Cette idée, un moment lui sourit, en souvenir de l’affaire de Thermidor, et c’est ainsi qu’il alla rendre visite à Henry Céard[1] — dont il connaissait l’érudition et le bon sens par Geffroy — au musée Carnavalet. Cette visite l’orienta de la façon que voici.

— Je suis dégoûté de la politique active, dit Cle-

  1. Henry Céard m’a dédié sa première pièce, Les Résignés. Malgré la différence d’âge, nous étions intimement liés.