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LA VIE ORAGEUSE DE CLEMENCEAU

On supposa qu’il était allé rejoindre le mulâtre Norton. Il fallut lire, pendant dix jours, dans l’Intransigeant, les impitoyables engueulades de Rochefort à l’adresse de ses anciens copains du boulangisme ! Jamais il n’avait été plus en verve : « Mais bien sûr, ce sont des canailles, tous, de fichues canailles !.… Ils n’ont jamais été que cela ! »

Vaincue à Paris, et de façon retentissante, la calomnie s’entêta dans le Var où, lors du renouvellement de son mandat, des bandes payées par le Petit Journal accueillaient Clemenceau au refrain de « aoh yes ». Si bien que la moutarde lui monta au nez pour de bon et que l’indignation lui inspira le discours de Salerne, un des plus beaux de sa carrière, et de tour classique. Il y exposa, dans le détail et dans l’ensemble, d’abord sa vie publique, puis sa vie privée, et le tableau de ses dépenses, tant pour ses leçons de cheval, tant pour sa table et sa famille, scandant chacune de ses périodes de cette question, martelée d’une voix irrésistible : « Où sont les millions ? » Emporté par son sujet, il se dépassa lui-même, au dire des auditeurs et sut élargir le thème, sans cependant tomber dans l’emphase. Les « aoh yes » se turent. S’il avait prononcé ce discours à la Chambre, — me disait Geffroy, — il eût été, le lendemain, président du Conseil. Quand il l’eut achevé, toute la salle était debout et l’acclamait. Beaucoup pleuraient. Le discours de Salerne n’a pas son pendant au cours de l’histoire de l’éloquence républicaine.

Cependant le lanceur de foudre fut vaincu au second tour de scrutin et perdit son siège de député. Le Petit Journal et l’ambassade d’Allemagne avaient bien fait les choses.

De cette âpre lutte contre la calomnie, et dont