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LA VIE ORAGEUSE DE CLEMENCEAU

yes. Il représentait Clemenceau en habit, sur la scène de l’Opéra, dansant la gigue et jonglant avec des sacs d’or, au son d’un orchestre conduit par un Anglais à favoris. Cette image grossièrement coloriée, et d’inspiration médiocre, fut répandue à des centaines de milliers d’exemplaires par toute la France, et principalement dans le Var, fief électoral de Clemenceau. La Justice, changeant de ton, répondait de son mieux par les plumes de ses principaux collaborateurs. Mais que pouvait son maigre tirage contre celui, énorme, du Petit Journal !

Entre temps avait eu lieu, à la Chambre, l’offensive célèbre de Déroulède qui, se tournant vers Clemenceau, dit en substance, après une rapide allusion à Cornelius Herz : « Il y a ici quelqu’un que vous redoutez tous à cause de sa plume, de sa parole et de son pistolet. Eh bien, je brave le tout, et ce quelqu’un je le nomme ; c’est M. Clemenceau. » À quoi ce dernier répliqua brièvement, d’une voix méprisante et sèche que j’entends encore : « Monsieur Paul Déroulède, vous en avez menti. » La Chambre haletait, comme à un combat de coqs. Un duel sévère au pistolet eut lieu sans résultat. Périn et Paul Ménard étaient les témoins de Clemenceau, Barrès était l’un des deux témoins de Déroulède. Si Clemenceau eût tué Déroulède, c’eût été certes un affreux malheur. Mais si Déroulède eût tué Clemenceau, nous n’aurions pas gagné la guerre de quatre ans à quoi tiennent les choses !

Porte-parole d’une calomnie imbécile qui, je le répète, ne reposait exactement sur rien, Déroulède manquait de jugement et était accessible à la flatterie, Barrès suivait aveuglément Déroulède en souvenir de Boulanger. Quant au parti radical, dont l’attitude, en la circonstance, fut plutôt faiblarde, il