Page:Léon Daudet – La vie orageuse de Clemenceau.djvu/10

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

LA VIE ORAGEUSE
DE CLEMENCEAU

CHAPITRE PREMIER

Un souvenir cuisant


Cétait soir de fête chez les Ménard-Dorian. rue de la Faisanderie, au mois de mars, dans leur bel hôtel récemment construit, où l’accueil était fastueux. Quelques mois avant sa mort on honorait Victor Hugo, au comble de sa gloire, et de sa désolation car il venait de perdre sa vraie compagne, Juliette Drouet. Les petits-enfants du grand homme dansaient le menuet en costume, avec la ravissante Pauline Ménard-Dorian, une gracieuse fille de Paul Meurice, quelques jeunes gens et demoiselles, et celui qui écrit ceci. Clemenceau, Alphonse Daudet, Emile Zola, Carriès, Rodin, Béthune, une foule d’hommes politiques, de journalistes et d’artistes assistaient à cette soirée unique, où la grâce, la beauté, le génie, le talent semblaient réunis pour le plaisir des yeux et la joie de l’intelligence. La France renaissait du désastre de 1870. On entourait Mme Edmond Adam, créatrice de la République athénienne, Cérès aux blonds cheveux, au décolleté marmoréen, aux bras d’une éclatante blancheur, aux yeux clairs, francs et rieurs, la maîtresse de maison, Mme Aline Ménard-Dorian, brune, grande, svelte, instruite, compatissante,