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SHAKESPEARE ET BALZAC.

sabre. Chez Voltaire, le style semble le poudroiement des mille petits éclats, des mille facettes du moi. Ce sarcasme est un cliquetis de voix de fausset, dont l’haleine est courte, mais l’accent pénétrant. On distingue dans Candide, par exemple, la collaboration d’une vieille dame médisante et cancanière, d’un anarchiste complet et d’un sadique. Mais l’éclairage et l’équilibre de ce saisissant petit ouvrage témoignent de l’intervention saccadée d’un soi à éclipses, d’un bon sens à déflagrations successives.

En ce qui concerne la libération des hérédismes, la projection au dehors des habitants du moi, Balzac n’est pas moins significatif, pas moins intéressant que Shakespeare. S’il a choisi — sauf quelques rares et peu heureuses exceptions — la forme du roman, c’est que le type historien prédomine en lui : un historien puissant et profond, parfois diffus. Mais quand il en arrive au dialogue de ses personnages, quelle vérité dans les cris, dans le développement organique des caractères et, en conclusion, quelles leçons morales ! Le soi, expurgé de ses protagonistes psychiques, brille alors d’un éclat unique, nitidus, disait le latin.