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L’HEREDO.

rêverie lyrique. Une quinzaine de protagonistes pour refaire un monde, ce n’est pas beaucoup. C’est suffisant quand on est Shakespeare, le pasteur radieux du plus noble troupeau d’images terrestres et célestes, quand on manie l’air, l’eau et le feu, comme la volupté et la douleur.

En dehors de ces preuves littéraires, il en est une d’un ordre différent, que je soumets aux habitués de la pensée et du drame shakespeariens. C’est l’atmosphère d’allusion, de sous-entendu, d’énigme, particulière à cet étrange génie. Une longue expérience des hérédos m’a permis de constater chez eux cette tendance, d’autant plus sensible qu’ils sont plus élevés dans l’échelle intellectuelle. Les divers personnages familiers, qui viennent tour à tour hanter leur moi, ne demeurent pas inertes les uns vis-à-vis des autres. Il y a entre eux un état de rivalité, d’émulation, qui les incite à ruser tantôt avec les autres éléments du moi, tantôt avec le soi. Il en résulte, pour la personnalité créatrice, une propension au langage chiffré, au rébus, au style du second degré. Derrière la première signification, en voici une plus dissimulée, plus