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SHAKESPEARE ET BALZAC.

héréditaires, le défilé de ses fantômes intérieurs ? À chaque tournant de ses dialogues si expressifs, je murmure, malgré moi, le « voici le spectre » le « enter the ghost » de Hamlet et de Jules César. « Voici le spectre », c’est-à-dire voici le tyran, le volontaire, le cruel, l’avare, le désabusé, le fol, la gracieuse, la grincheuse, la passionnée du pedigree shakespearien, qui vont se servir du génie comme d’un truchement de reviviscence, jouer sur sa lyre d’or et d’airain, emprunter son verbe et son rythme. Il est autofécondé, il est manœuvré, il est agi. Le son de ses vers est celui de toutes ces âmes ancestrales, qui viennent successivement se loger dans son âme et se chauffer à son rayonnement.

La chose est encore plus manifeste quand on examine la justesse du développement organique des caractères. Il y a là une spontanéité seulement comparable à celle de la nature. Les sentiments, une fois semés, germent et poussent en conséquences et frondaisons tragiques, selon une cadence calquée sur le réel. Cette cadence était nécessairement en Shakespeare. Elle ne pouvait lui venir que d’une reformation perpétuelle en lui des êtres